Imaginons qu’il y ait quelque chose après la mort. Imaginons que l’Enfer et le Paradis existent. Des hommes et des femmes meurent. Où pensez-vous que vont leur âme ensuite ? Le temps de savoir de quel côté penchera la balance, elles seraient envoyées chez quelqu’un. Quelqu’un qui les garderait et qui en aurait la responsabilité. Cette personne serait le Passeur.

Claude ouvrit les yeux. Comme chaque fois, des murmures et des cris étouffés l’avaient réveillé.

La lumière blanche s’échappant des fenêtres contrastait avec le sommeil noir dont il venait d’être tiré. Après s’être étendu, Claude se dirigea vers la salle de bain. Une fois sa douche prise et ses vêtements enfilés, il alla dans la cuisine se préparer du café. Il effectuait les mêmes gestes tous les matins. Une routine qui l’a souvent dérangé mais qu’il a finalement réussi à accepter. Sa tasse de café prête, Claude alla s’asseoir sur une chaise, au bout de la table. Les yeux dans le vide, il ne pensait à rien. Impossible pour les autres mais pas pour Claude. Sans famille ni ami, l’homme n’avait rien ni personne à qui penser. Les yeux grands ouverts, il observait le spectacle qui hantait sa maison sans cesse.

Des corps nus, sans visage, sortaient d’un mur pour pénétrer dans un autre.

Sa maison est en fait située entre deux mondes. C’est une passerelle et accueille les âmes vagabondes. Une fois leur jugement tombé, elles disparaissent et laissent leur place à d’autres. Ces âmes étaient visibles pour Claude. Il assistait à un défilement constant de corps parfaitement sculptés, représentant d’âmes. Ces corps étaient accompagnés de voix faibles, semblables à des chants plaintifs. Des fois ils criaient, des fois ils pleuraient. Mais Claude ne leur parlait jamais. C’était une limite qu’il devait, selon lui, ne pas franchir. Il avait peur de ce qu’il pouvait ressentir, que ce soit de l‘affection ou de la pitié. Souvent, il reconnaissait certains corps, qu’il pouvait voir pendant longtemps. On lui avait dit que plus une âme restait chez lui, plus son jugement était long et compliqué. Claude avait eu l’habitude de se demander ce qu’avait pu faire ses hommes et ces femmes qui restaient si longtemps. Car plus un être vivant commet de péchés, plus il passera du temps chez le passeur.

Claude vivait sa vie et suivait sa routine, car il savait que, bien que ça ne lui plaise pas, il ne pouvait plus rien changer à présent.

Les jours passaient et se ressemblaient tous. La nuit ne tombait pas là où Claude vivait. Il ne voyait ni ciel bleu, ni crépuscule. Seulement une lumière blanche et froide. Il dormait quand il était fatigué, mangeait quand il avait faim, et vivait à ce rythme.

Mais sa vie fut subitement chamboulée à un moment, que Claude se souviendra toujours. Il vivait au milieu des corps qui volaient autour de lui. Il lisait un livre qu’il avait déjà lu une trentaine de fois quand il remarqua une âme, un corps spécial. Il ne savait pas pourquoi, mais son regard s’était levé, dès l’arrivée de ce corps dans la pièce.

Il ressentait quelque chose, alors qu’il ne ressentait plus rien depuis déjà un moment. Il regardait son corps nu, sans visage, mais pourtant parfait. Une voix se fit entendre. On ne savait d’où, mais Claude sentait qu’elle appartenait à l’âme qu’il venait de remarquer.

« Où suis-je ? » entendait-il. Une question qu’il entendait tout le temps, et à laquelle il ne répondait jamais, sauf cette fois-ci.

« Chez moi », répondit Claude, toujours assis sur le canapé, son livre fermé entre les mains.

« Qui êtes-vous ? ». L’âme pleurait et, bien que Claude ait l’habitude d’entendre ces gémissements, ceux-là lui déchirèrent le cœur.

Il se leva pour aller ranger son livre et dit « Je suis le Passeur ». Il refusait d’en dire plus, bien qu’il en ressente l’envie. Mais il venait de parler à une âme, ce qu’il s’était toujours interdit. C’était comme si une force supérieure était entrée en jeu, et lui-même ne pouvait s’y opposer.

« Je sais que vous avez peur, dit-il. Je sais aussi que vous ne comprenez pas. Mais faites-moi confiance, ce sera bientôt fini, et vous partirez d’ici, pour rejoindre un monde meilleur, je n’en doute pas. » Claude regardait l’âme comme un homme amoureux regarderait sa femme.

« Pourquoi suis-je là ? Il y a une seconde j’étais…

– Ne me dites rien, je ne veux rien savoir de vous, affirma Claude, malgré son envie d’en connaître plus sur elle. Vous êtes ici comme tout le monde le sera un jour. Il vaut mieux accepter. Ce sera bientôt fini, je vous le promets.

-Je vous fais confiance » dit l’âme, après un temps d’hésitation.

Le temps passait et Claude était toujours accompagné de l’âme. Ils parlaient de tout et de rien, de littérature, de cuisine… Mais rien qui ne concernait leurs vies passées. Claude voulait se protéger en prenant du recul, en ne voulant pas s’attacher à elle. Mais ça ne marchait pas. Le temps s’écoulait et il l’appréciait de plus en plus. Et il ne pouvait rien y faire.

Cependant, Claude se posait des questions. Cela faisait vraiment longtemps que l’âme était chez lui. Au début il ne s’en souciait pas, il profitait d’elle et de sa conversation. Mais plus le temps passait, plus Claude s’interrogeait. Il ne comprenait pas comment une âme qui semblait si belle et si pure pouvait être encore là.

Comment était-elle morte ? Avait-elle commit des crimes ? Est-ce une erreur ?

Toutes ces questions tournoyaient dans sa tête, mais il n’était pas sûr de vouloir des réponses. Leurs discussions continuaient, et Claude pensait au moment où elle ne serait plus là. La solitude qu’il a ressenti au cours de toute sa vie, ne sera comparable à ce qui l’attendra ce moment là. Leur relation étant de plus en plus intime, l’âme posa un jour une question. Cette question qu’elle avait dans la tête depuis le premier jour mais qu’elle n’a jamais osé poser avant aujourd’hui.

« Comment vous appelez-vous ?

-Que voulez-vous dire ? Vous le savez déjà.

-Votre vrai nom »

Claude ne savait pas quoi répondre. S’il lui disait, il savait que quelque chose allait changer. Leur relation ne serait plus celle de deux inconnus.

« Claude, je m’appelle Claude ». Il ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Mais il était heureux de lui avoir dit.

« Pourquoi êtes-vous ici ? Seul, avec des corps qui volent ? demanda l’âme.

-Je suis le Passeur, celui qui les garde

-Mais pourquoi vous ? »

Devait-il lui révéler la vérité ? Encore une fois, il savait que non, mais les mots sortirent de sa bouche sans qu’il ne puisse s’y opposer.

« J’étais malade. J’allais mourir. Un homme est alors venu me voir, en me demandant si je voulais vivre. J’ai acquiescé, bien sûr. Il m’a alors proposé de me sauver à une condition : que mon âme garde celle des autres.

-Vous avez fait un pacte avec le diable, affirma l’âme.

-On peut dire ça, dit Claude après un soufflement. Et vous, pourquoi êtes-vous encore là ?

-Je ne comprends pas.

-Si une âme reste aussi longtemps que la vôtre ici, c’est qu’elle a du commettre un nombre inimaginable de péchés.

-J’ai fais des choses, des choses horribles. Je ne pourrais même pas vous les expliquer.

-Racontez-moi, s’il vous plaît, demanda Claude

-J’ai tué beaucoup de monde. J’ai fais des mauvais choix. J’ai cru à des gens, qui me disaient que, pour rendre notre monde meilleur, on devait passer par la peur. Alors on a posé des bombes, un peu partout. Je voulais un monde pacifique. Maintenant je me rend compte que ce n’était pas la bonne façon d’y arriver. C’est comme ça que je suis…

-Morte ? demanda Claude, étrangement calme.

-J’étais encore dans le restaurant quand la bombe que je venais de poser a explosé. Je me souviens d’une lumière jaune, de cris sourds. Et ensuite je suis arrivée ici. »

Claude ne dit rien, pendant un long moment, équivalent à quatre sommeils. Il voyait l’âme voler durant tout ce temps. Il ressentait sa détresse et sa tristesse. Mais il avait besoin de réfléchir.

Une fois ses idées claires, l’envie de parler, de pardonner à l’âme était trop forte pour qu’il reste dans le silence.

« Est-ce que tu regrettes ?

– D’avoir fait tant de mal ? Bien sûr. Je me rend compte du paradoxe qui me servait de devise. Faire le mal pour le bien. Si seulement je pouvais revenir en arrière, effacer tous mes actes, je le ferais.

– Je te pardonne, car tous tes actes n’effaceront jamais tout l’amour que je te porte.  ». C’est après ces mots, que l’âme disparue aussi vite qu’elle était arrivée.

Sophie et Claude auraient du se rencontrer. Ils auraient du se croiser à l’hôpital, lors de la dernière séance de chimio de Claude. Sophie avait elle, un sac à dos rempli de dynamite. Mais, coup de foudre oblige, Sophie aurait réfléchi à deux fois avant de poser cette bombe, la première qu’elle aurait posé. Cependant, le diable a tenté Claude, et il a cédé. Il est devenue le Passeur, et elle est devenue une meurtrière.

Rédigé par LNE

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